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« Il ne faut pas généraliser » : un réflexe défensif face aux problématiques systémiques

  • Writer: Justine Guittonny Cappelli
    Justine Guittonny Cappelli
  • Aug 5
  • 2 min read

Updated: Aug 18


Aujourd'hui, je vous invite: venez enfoncer avec moi des portes que des générations de chercheur·e·s ont déjà ouvertes… et répétons ensemble ces évidences qui, manifestement, n’ont pas encore traversé toutes les consciences!


La formule « il ne faut pas généraliser » est devenue un lieu commun du discours social, mobilisé comme un réflexe rhétorique visant à neutraliser l’énonciation d’un problème collectif. Elle s’adosse à une représentation implicite : généraliser serait toujours caricatural, intellectuellement pauvre, voire moralement condamnable, et relèverait d’un registre « populiste » ou « de comptoir ».


Or, généraliser n’est pas nécessairement un geste simplificateur : c’est souvent un outil analytique permettant de décrire des structures.L’absence de généralisation conduit à l’inverse à invisibiliser les mécanismes systémiques qui traversent nos sociétés. Le racisme, le sexisme, les discriminations ne sont pas des agrégats de comportements individuels isolés : ils sont constitutifs d’un ordre social.

Cette confusion se retrouve dans les réactions du type “not all men”. Répondre que « tous les hommes ne sont pas misogynes » revient à déplacer la discussion du plan structurel vers le plan moral individuel. Or, ce n’est pas la “méchanceté” des individus qui produit la misogynie, mais un système de normes, de représentations et de pratiques qui les précède et les dépasse. Les travaux en psychologie sociale (Banaji & Greenwald, 2013 ; Devine, 1989) et en sociologie du genre (Connell, 1995 ; Bourdieu, 1998) démontrent que les biais sexistes et racistes sont incorporés par les individus, quel que soit leur niveau d’éducation, leurs convictions politiques ou leur bonne volonté.


Prenons un exemple trivial mais éclairant : le traitement différencié des enfants selon leur genre. À l’occasion de l’anniversaire de ma fille de quatre ans, la majorité des messages reçus soulignaient sa beauté. Deux mois plus tôt, pour l’anniversaire de mon fils de cinq ans, également un “bel enfant”, les compliments portaient principalement sur son tempérament ou ses aptitudes. Ces distinctions, énoncées par des personnes bienveillantes et cultivées, révèlent la persistance de schèmes culturels assignant aux filles une valeur d’être (l’apparence, la douceur) et aux garçons une valeur de faire (l’action, le caractère).


Le même raisonnement vaut pour le racisme : les sociétés occidentales sont traversées par des rapports de domination hérités du colonialisme et de l’esclavage, qui produisent encore aujourd’hui des inégalités raciales profondes (Bonilla-Silva, 2014 ; Mbembe, 2013). Il ne s’agit pas de dire que “tous les individus sont racistes”, mais de constater que même les acteurs sincèrement attachés aux valeurs humanistes participent, souvent inconsciemment, à des dynamiques qui reproduisent ces inégalités.


Ainsi, généraliser, dans ce cadre, n’est pas accuser. C’est reconnaître l’existence de systèmes qui excèdent la somme des comportements individuels. C’est aussi refuser que la responsabilité du malheur ou des échecs repose uniquement sur les individus, souvent démunis face à ces structures.


En définitive, la généralisation, loin d’être un stigmate d’approximation, devient ici un geste critique : elle rend visible ce que le discours individualisant tend à occulter.



Brigid Poetess, watercolor and metallic gold leaf, 2025.
Brigid Poetess, watercolor and metallic gold leaf, 2025.

 
 
 

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